
La vraie Margherita : pourquoi les Italiens lèvent les yeux au ciel quand on rajoute du cheddar
Par Carlo di Kazà, pizzaïolo et gardien du temple
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Mes amis, asseyez-vous. Prenez un verre de vin. Respirez profondément. Parce que je dois vous parler de quelque chose de sacré. Quelque chose qui me fait pleurer la nuit quand je vois ce que vous faites à ma Margherita.
Le cheddar. Madonna santa. LE CHEDDAR.
Hier, un client m’a demandé si je pouvais « améliorer » ma Margherita avec du cheddar râpé. AMÉLIORER. Comme si Mozart avait besoin d’un solo de kazoo. Comme si la Joconde manquait d’un nez de clown rouge.
J’ai levé les yeux au ciel si fort que j’ai vu mes ancêtres napolitains me regarder avec déception depuis le paradis des pizzaïolos.
La Trinité Sacrée
Écoutez-moi bien. La Margherita, c’est une religion. Et comme toutes les bonnes religions, elle a des commandements très simples.
**Commandement numéro un** : Tu utiliseras la mozzarella fior di latte, ou mieux encore, la mozzarella di bufala. Pas le cheddar. Pas le gouda. Pas le fromage à raclette parce que « ça fond mieux ». La MOZZARELLA.
**Commandement numéro deux** : Tu ajouteras des tomates San Marzano. Pas du ketchup (oui, quelqu’un m’a demandé). Pas de la sauce barbecue « pour le goût ». Des vraies tomates italiennes qui ont grandi sous le soleil du Vésuve en écoutant du Pavarotti.
**Commandement numéro trois** : Tu mettras du basilic frais. FRAIS. Pas le truc séché qui ressemble à de l’herbe de pelouse. Du basilic qui sent encore la vie, l’été, et les prières de ma nonna.
Et c’est tout. TUTTO. Rien d’autre.
(Et si vous voulez savoir qui veille sur ces commandements, il y a même l’AVPN – l’Association Verace Pizza Napoletana – qui protège la recette comme un trésor national. Ces gens sont sérieux. Moi aussi.)
Pas de chorizo, pas d’ananas, et certainement pas de cheddar orange fluorescent.
Moins c’est mieux
Vous savez pourquoi la Margherita est parfaite ? Parce qu’elle ne cherche pas à impressionner. Elle ne porte pas dix-sept chapeaux en même temps.
Les Français comprennent ça avec leur baguette. Les Japonais avec leur sushi. Et nous, Italiens, avec notre Margherita. C’est la philosophie du « meno è meglio » – moins c’est mieux.
Chaque ingrédient doit briller. La mozzarella crémeuse qui fond comme un nuage. La tomate acidulée qui chante avec douceur. Le basilic qui apporte ce parfum, cette fraîcheur, ce petit baiser de l’été. Et la pâte, oh la pâte ! Croustillante, moelleuse, avec ces petites bulles noires qui prouvent qu’elle a été embrassée par le feu du four à bois à exactement 485 degrés.
Pourquoi nous levons les yeux au ciel
Quand vous rajoutez du cheddar, vous nous dites : « Carlo, ta pizza n’est pas assez bien. » Vous nous dites que trois siècles de tradition napolitaine ont besoin d’un fromage anglais.
C’est comme inviter Picasso à peindre un portrait et lui dire : « Hé Pablo, tu peux rajouter des paillettes roses ? »
Nous levons les yeux au ciel parce que nous savons que vous ne comprenez pas. Pas encore. Mais nous avons l’espoir. L’espoir qu’un jour, vous mordrez dans une vraie Margherita – simple, humble, parfaite – et vous direz : « Oh Madonna. VOILÀ. Je comprends maintenant. »
Simple n’est pas ennuyeux
Les gens pensent que simple veut dire ennuyeux. Ces gens n’ont jamais mangé une vraie Margherita.
Une vraie Margherita, c’est comme écouter du Miles Davis. Il ne joue pas mille notes. Il joue les bonnes notes. Au bon moment. Avec le bon silence entre elles.
La complexité dans la simplicité, mes amis. C’est l’art suprême. N’importe quel imbécile peut empiler quinze fromages sur une pizza. Mais créer l’harmonie avec trois ingrédients ? Ça, c’est de la magie.
Mon dernier message
Je ne suis pas en colère. Je suis déçu. Comme un père dont le fils veut mettre du Nutella sur le risotto.
Mais je vous aime quand même. Et je vais continuer à faire ma Margherita exactement comme mes grands-parents me l’ont apprise. Avec amour. Avec respect. Et avec SEULEMENT trois ingrédients sacrés.
Et si vous me demandez encore du cheddar ?
Je vais lever les yeux au ciel si fort que je vais voir Maradona qui fait des jongles avec des mozzarellas sur un nuage.
Ciao belle,
Carlo
Mais qui est donc Carlo ?

Carlo di Kazà
Reporter dévoué
Carlo di Kazà est assistant moral émérite de notre chef pizzaïolo Yacine à la Kaz’ à Pizza des Sables d’Olonne , temple vendéen de la pizza napolitaine contemporaine. Il y refuse poliment mais fermement toute demande d’ingrédient non traditionnel depuis 1987. Il a levé les yeux au ciel exactement 47 328 fois dans sa carrière, un record régional.