
La pâte : âme, colonne vertébrale, diva incomprise de la pizza
Par Carlo di Kazà, chuchoteur de levures
Mes amis, aujourd’hui je dois vous parler de celle qui porte tout sur ses épaules. Celle qui travaille dans l’ombre pendant que la mozzarella et le basilic reçoivent tous les compliments.
Je parle de la pâte. La PÂTE. Sans elle, votre pizza n’est qu’une salade chaude sur un carton.
Le drame silencieux
Les gens ne regardent jamais la pâte. Jamais ! Ils voient les tomates brillantes, la mozzarella qui coule, le basilic vert vif. Mais la pâte ? Elle est là, en dessous, qui supporte tout ce cirque sans recevoir un seul regard admiratif.
C’est comme être le pianiste dans un opéra. Tout le monde écoute la soprano, mais sans le piano, elle chante dans le vide.
Hier, quelqu’un m’a dit : « Carlo, ta pizza est bonne, mais c’est surtout grâce aux ingrédients de qualité. » J’ai failli pleurer. Comme si les ingrédients flottaient dans l’air par magie !
Non, mes amis. La pâte n’est pas un support. La pâte EST la pizza.
Une question de respect (et de temps)
Vous savez combien de temps je laisse reposer ma pâte ? Minimum 24 heures. MINIMUM. Parfois 48. Parfois 72 si elle me regarde d’un air capricieux.
Pourquoi ? Parce que la pâte n’est pas une recette. C’est une relation. Une histoire d’amour compliquée entre la farine, l’eau, le sel, la levure et le temps. Surtout le temps.
La levure, c’est des êtres vivants. Des petites créatures microscopiques qui mangent, respirent, vivent leur vie. Et vous, vous voulez les brusquer ? Les forcer à travailler en deux heures parce que vous êtes pressé ?
Madonna. C’est comme demander à Beethoven de composer une symphonie pendant sa pause déjeuner.
Les quatre éléments sacrés
La farine : Pas n’importe laquelle. Une farine italienne type 0 ou 00, moulue avec amour. Une farine qui a du caractère mais qui sait rester humble.
L’eau : Propre, fraîche, à température ambiante. L’eau, c’est 60% de votre pâte. Vous utiliseriez de l’eau de piscine pour faire du café ? Non ? Alors respectez votre pâte.
Le sel : Juste ce qu’il faut. Pas trop, pas trop peu. Le sel, c’est comme les compliments : avec modération, ça sublime. En excès, ça tue.
La levure : Fraîche de préférence. Une toute petite quantité. Parce qu’avec le temps, même une armée minuscule peut conquérir Rome.
Et puis il y a le cinquième élément, celui qu’on oublie toujours : la patience.
Ce que la pâte essaie de vous dire
Quand votre pâte est élastique et refuse de s’étirer : « Laisse-moi me reposer encore. »
Quand elle colle à vos mains : « Trop d’eau, mon ami. »
Quand elle se déchire comme du papier : « Tu ne m’as pas laissé développer mon gluten. »
La pâte parle. Mais personne n’écoute.
Les 4 signes qu’elle est prête (pour ceux qui veulent essayer à la maison) :
- Elle est douce et légèrement bombée dans son récipient
- Elle ne colle presque plus aux doigts quand vous la touchez
- Quand vous appuyez dessus, l’empreinte revient lentement
- Elle sent bon – une odeur légèrement acidulée, vivante, pas de levure chimique
Si elle a ces quatre qualités, vous pouvez la façonner. Sinon, laissez-la dormir encore.
Les 3 erreurs mortelles avec la pâte :
- La brusquer : trop de pétrissage, pas assez de repos. La pâte devient nerveuse, élastique, impossible à étaler.
- Utiliser de l’eau froide : ça ralentit la fermentation et bloque les arômes. Température ambiante, toujours.
- Le rouleau à pâtisserie : il écrase les bulles d’air, tue le cornicione, transforme votre pizza en crêpe triste.
L’art du façonnage
Ne me parlez pas de rouleau à pâtisserie. JAMAIS. Le rouleau, c’est pour les tartes. Pas pour la pizza.
La pâte se façonne à la main. On étire doucement du centre vers l’extérieur, en gardant le cornicione – ce bord gonflé et croustillant – intact.
Le cornicione, c’est la signature du pizzaïolo. C’est là que la pâte montre ses bulles d’air, son caractère, sa personnalité.
Un cornicione plat et triste, c’est une pizza sans âme.
Quand la pâte devient magie
Vous savez ce moment où la pâte entre dans le four à 485 degrés ?
En 90 secondes, elle passe de l’enfance à la maturité. Elle devient croustillante à l’extérieur, moelleuse à l’intérieur. Elle développe ces arômes de noisette, de pain grillé, de bonheur pur.
C’est pour ça que je dis toujours : une bonne pizza, ça se mange d’abord avec le nez.
Mon dernier message
La prochaine fois que vous mangez une pizza, fermez les yeux. Oubliez les garnitures une seconde. Concentrez-vous sur la pâte.
Est-elle légère ? Digeste ? A-t-elle du goût ? Des bulles ? Une croûte qui chante sous la dent ?
Si oui, vous êtes dans un bon endroit. Quelqu’un, quelque part dans la cuisine, a passé du temps avec cette pâte. Il l’a regardée pousser. Il l’a écoutée. Il l’a respectée.
Et cette pâte, en retour, vous dit merci en vous donnant une pizza dont vous vous souviendrez.
Parce que la pâte, mes amis, ce n’est pas juste de la farine et de l’eau.
C’est de l’alchimie. C’est de la patience. C’est de l’amour transformé en nourriture.
Ciao belle,
Carlo
Mais qui est donc Carlo ?

Carlo di Kazà
Reporter dévoué
Carlo di Kazà est assistant moral émérite de notre chef pizzaïolo Yacine à la Kaz’ à Pizza des Sables d’Olonne, temple vendéen de la pizza napolitaine contemporaine. Il parle à sa pâte tous les matins depuis 1987 et jure qu’elle lui répond. Personne ne le contredit.